L'art de l'enfance : la marche des clowns

Le 14 mars 2023, en plein centre de Paris, au palais de Chaillot, les Clowns sans frontières lançaient leur marche pour un plaidoyer pour l'enfance : LE « DROIT À L'ENFANCE ». 

Préserver la part d'enfance de tous et à tout âge grâce aux interventions artistiques  : https://www.clowns-sans-frontieres-france.org/notre-actualite/plaidoyer/notre-manifeste-pour-le-droit-a-lenfance/

 Je fus invitée, avec à mes côtés des personnes venant d'horizons différents, tous unis par le projet de faire de l'enfance une visée politique centrale, par le respect de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France (et par bien d'autres pays exceptés les Etats-Unis). 

Ainsi étaient présents : 
 Luc Briard, Administrateur de Clowns Sans Frontières 
Armando Cote, Psychanalyste et psychologue au Centre Primo Levi 
Adeline Hazan, Présidente d’UNICEF-France 
Philippe Jaffé, Psychologue, Vice-Président du comité des droits de l’enfant à l’ONU 
Nathalie Baldo, Artiste, chorégraphe et bénévole de Clowns Sans Frontières 

Pierre Lemarquis, Neurologue, neurophysiologiste et neuropharmacologue, absent, était néanmoins présent par sa voix, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/on-a-un-cerveau-pour-apollon-et-un-pour-dionysos-l-art-agit-sur-les-deux-6780097 

 La table était animée par la journaliste Anne Quentin, journaliste spécialisée dans les politiques culturelles, devant un parterre parsemé mais très attentif. 

 Parmi les phrases écoutées, certaines m’ont paru essentielles et déterminantes pour nos actions à mener pour les plus vulnérables de nos publics et patients : les enfants exilés. Adeline Hazan a rappelé que l’UNICEF, créée à la fin de la seconde guerre mondiale pour les enfants orphelins (dont ceux des pays vaincus), s’est d’abord tournée vers les enfants n’appartenant pas aux « pays développés ». Néanmoins, depuis 10 ans, des actions en France ont été décidées pour sensibiliser citoyens et surtout décideurs publics aux droits des enfants. Quelques chiffres témoignent de cette nécessité : un enfant sur cinq vit au dessous du seuil de pauvreté, et 42 000 enfants n’ont pas de foyers fixes –ils vivent dans les hôtels ou des foyers- dont 1600 dans la rue ! Ceci en France ! 

 Il n’est pas vain de rappeler : 
 -que les enfants sont les victimes des catastrophes humaines comme l’a rappelé Armando Cote revenant de Varsovie pour une séance de travail avec des psychiatres ukrainiens et américains : les psys ukrainiens avaient anticipé les désastres humains à venir pour une guerre qu’ils pressentaient sans avoir organisé les soins des enfants… 
 -que des artistes peuvent se sentir concernés par une enfance enfermée, privée de liberté, ou violentée par les conflits des plus grands. La danseuse et chorégraphe, membre des Clowns sans frontières, Nathalie Baldo a montré par son émotion, comment la fragilité de l’artiste fait face à celle de ce public d’enfants. Elle co-anime à l’association Primo Levi des ateliers pour les familles : son témoignage conforté par celui d’Armando, a été très précieux et la preuve convaincante que les artistes peuvent co-créer des moments de vie créative et s’adapter à un public démuni, ignorant de nos codes et de notre familiarité des lieux. 

 Outre les aspects indéniablement positifs de l’expérience de l’art vivant pour tous, Luc Briard, diplomate, a lancé une idée stimulante : les espaces publics, lieux de violents conflits dans des parties du monde, sont des espaces à reconquérir grâce à la présence, certes éphémère, des artistes, créant des moments de rupture, des bouffées d’insouciance. La preuve de la présence et de la solidarité d’autrui comme diplomatie. 

 Une discussion s’est amorcée sur un article important de la convention internationale des droits des enfants : 
 L’article 31 
1. Les Etats parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique. 
2. Les Etats parties respectent et favorisent le droit de l'enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique et encouragent l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité. 

Cet article peut-il être un droit fondamental à l’art pour tous? Une spectatrice du monde artistique pointait comment cette question (qui a donné lieu à des échanges tendus entre le Pr Jaffé et l’assistance) représentait un enjeu central au moment où nous vivions des ruptures successives dans notre monde –je suppose qu’elle faisait référence à la période post-covid, à la question de notre rapport au travail et à la réforme des retraites, à la guerre menaçant nos frontières européennes et l’ordre du monde de l’après guerre, etc. etc. Au fond, si je devais expliciter ce que cette question contient de crucial : la culture et l’art seraient-ils des appuis indispensables au moment où nos certitudes vacillent ? 

 Quant à moi, j’ai pu témoigner de ce que la création de lieux de médiations artistiques, a pu apporter aux soins des personnes exilées : adultes, familles et bébés. Mes mots et mes réflexions proviennent de ceux de mes patient.e.s, orientées par les questions de Anne Quentin. 
 L’art agit sur le corps par l’émotion, la joie : il impulse un transport émotionnel qui est partageable. L’esthétique, le beau, en soi, fait du bien. L’art guérit-il est une question compliquée à la quelle je ne saurais répondre. Cependant les moments artistiques ou culturels proposés dans l’association Ethnotopies permettent de vivre une expérience où les personnes se sentent vivantes. La concentration, le geste permettent de mettre à distance une existence angoissée et de retrouver le rythme : c’est pouvoir sortir momentanément de l’immobilité du trauma et de la dépression

 La résilience ? Je ne parlerai de résilience qu’au sens de « tuteur de résilience », tant ce mot a été galvaudé, modifié, détourné, et pris au piège de pouvoir cacher la souffrance de ceux-celles qui n’ont pas pu être résilient.e.s. La résilience ne doit pas masquer qu’on ne connaît pas le devenir d’un (de) trauma.s. Si l’expression de la souffrance disparaît, elle peut réapparaître. L’art, par le contact émotionnel avec l’altérité, par les récits qu’il éveille, constituent des enveloppes de paroles, de sons, d’émotions qui ont été mises à mal par la migration et la souffrance. Cela crée de nouveaux appuis de résilience, de nouveaux appuis narratifs. 

 Le rire permet certainement un mouvement corporel, un partage émotionnel, une joie commune, qui participent au bien-être et à l’oubli d’une condition de mépris et de honte. Ce n’est plus la frayeur et la peur qui se propagent mais la joie. 

 L’enfance est certes un moment décisif pour être réceptif à l’art. Il existe de plus en plus de pratiques pour favoriser la rencontre entre les petits et l’art. A Ethnotopies, les ateliers « Bébés culture », permettent la rencontre d’objets d’art (des livres bien choisis) et des pratiques artistiques (comme la musique) et d’enfants avec leurs parents. Quelle perception en ont-ils (les enfants et les parents) ? Quelle action sur le portage des enfants ? Que vont devenir les images et les sons perçus et déchiffrés ? Quels liens avec la société d’accueil ? Si l’on sait que l’accès à la culture et à l’art est désormais une priorité pour les enfants dès les plus jeune âge, notre but est d’encourager cet accès aux plus démunis des enfants, portés par leurs parents. L’accès à l’art et à la culture de la société d’accueil n’est pas « la cerise sur le gâteau », au sens où ce serait le « petit plus » qui accompagnerait l’accès aux besoins essentiels comme un toit et un repas. Certes le toit et le repas sont indispensables mais l’accès à l’art n’est pas un supplément dont on pourrait se passer. 

Une définition de l’émerveillement ? C’est une expérience née de la surprise, qui détourne des préoccupations personnelles et ouvre aux autres. C’est le contraire de la perte d’illusion, du désenchantement. Emerveillé, c’est être frappé par l’étonnement. Le préfixe « e » indique un sentiment de déplacement, un hors-soi dans quelque chose d’étonnant et de beau. Cette sortie de soi est le contraire de celle provoquée par l’effroi et la peur. Par ce déplacement les personnes se sentent vivantes et agrandies (le contraire de l’angoisse qui rétrécit) portée par le regard reconnaissant d’autrui. 

 Nous attendons la marche des Clowns à Bordeaux pour susciter cet émerveillement chez les enfants exilés et leurs parents.



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