La race ?
Ce mot, effacé de notre constitution, rend mal à l’aise. Il renvoie à notre passé obscur du colonialisme et de l’antisémitisme, à juste titre. Mais l’effacer, est-ce annuler ces effets ? « La race n’existe pas mais elle tue » (Chemery et al., 2015) à tous les âges même, serait en effet, le premier constat à faire. Evoquer la race, c’est, outre raviver des traces honteuses, nommer un de ses effets, le racisme et la discrimination. L’histoire de la couleur de la peau, le colorisme n’est pas la même en France et aux USA. La France a même été considérée comme un pays indifférent à cette question par nombre d’intellectuels noirs américains, qui ont loué son modèle (comme James Baldwin). De nombreuses voix de chercheurs en sciences sociales, de militants ne permettent plus de garder cette rassurante affirmation. Les noirs y sont aussi discriminés et pas seulement parce qu’ils seraient plus pauvres.
Les antiracistes ne sont pas d’accord entre eux, et les oppositions désormais publiques entre les antiracistes et les universalistes nous entraînent dans des débats qui sont parfois passionnants (Fassin et Fassin, 2006) et parfois nauséabonds.
Passionnants parce qu’ils permettent de complexifier le problème et le malaise qu’elle entraîne : l’universalité qui nous est si chère nous empêcherait de voir certaines inégalités ? Les antiracistes feraient-ils le jeu du racisme ?
Nauséabonds parce qu’ils révèlent parfois plus une lutte de pouvoir au risque de vouloir humilier l’adversaire (politique notamment) que d’une recherche de vérité. Mobiliser une communauté est-ce vraiment être « communautariste » ?
Plus simplement, derrière les études savantes et indispensables pour circonscrire la réalité, il faut considérer que derrière les drames du racisme il y a des histoires vécues balayées par une violente injustice.
Des observations pour le non-chercheur sont simples et évidentes : un enfant fait très tôt l’expérience de la race. L’enfant de couleur sombre, va apprendre rapidement qu’il n’est pas « marron », mais qu’il est « noir » et que cela est l’objet de remarques : « tu es sale », « tu es noir(e) et tu n’iras pas au paradis », dès le plus jeune âge. Le « rose » de la peau qui deviendra couleur « blanche » fait l’objet de plus de privilège. Cela génère généralement la consternation des adultes et leur gêne. Mais non, les parents ne sont pas des racistes qui serinent à leurs enfants que la couleur noire est inférieure ! Le mal est plus profond, pourrait-on dire, l’insu historique, social et culturel bien plus complexe.
Et les soins ?
La médecine, dans ses institutions et ses pratiques, a longtemps été épargnée par ces questions. Néanmoins, elle n’y échappe désormais plus.
On ne pourra peut-être jamais faire des analyses sur les bébés noirs en France du fait d’une tradition de recherche qui n’est pas celle des USA.
Néanmoins, des recherches dès les années 2000, démontrent que les institutions médicales sont bien discriminatoires voire racistes. Des études extrêmement précises et sérieuses démontrent par exemple que les femmes « noires » sont plus fréquemment césarisées que les autres (Sauvegrain, 2012).
Les mêmes questions ressurgissent : la médecine n’est-elle pas une discipline unie derrière le serment d’Hippocrate qui interdit toute distinction de niveau social, de sexe, de couleur de peau ? Une(e) soignant(e) pourrait-il (elle) jurer, la main sur le cœur et le regard pénétrant, que c’est la pure vérité ?
Serait-on un communautariste (terme qui sous entend la rupture avec la République) si on recherche un médecin de même couleur que soi ?
Ainsi, si l’on traite de « folie identitaire » (Réaction du Ministre de la santé, Olivier Véran à la publication du groupe Globule noir de noms de gynécologues noires sur leur compte Twitter. Cet événement serait d’ailleurs un bon exemple à méditer : comment un groupe qui s’interroge sur une réalité vécue et propose des solutions se voit aussitôt mis à l’index), le fait que des personnes recherchent des praticiens de la même couleur de peau qu’elles, ne doit-on pas condamner aussi fermement les dérives de praticiens qui sélectionnent leur patientèle (Elles sont désormais bien connues, voir par exemple la fiche pratique du défenseur des droits à destination des professionnel(le)s de la santé https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/fiche-refussoins-num-21.09.18_0.pdf)( ?
Les pratiques discriminatoires et racistes ne sont pas toujours des gestes délibérés, même si l’on connaît des histoires de violence institutionnelle honteusement lourdes de préjugés. Le management hospitalier, le défaut de temps et de moyens, sont tout aussi responsables que les préjugés qui influencent le jugement.
Pour faire face au racisme et y remédier, les soignants (en plus des citoyens qu’ils sont) ont la possibilité d’agir sur le réel avec toutes les personnes qu’ils soignent, quelque soit leur âge et même avec les bébés. Tout faire pour être sûr que les gestes n’induisent pas une intolérable injustice : c’est le sens d’un travail réfléchi et partagé avec d’autres, d’une réflexion modeste et permanente, d’une technique traversée par l’éthique.
C’est aussi lutter contre une impuissance qui nous submergent et un nihilisme qui nous tenterait.
Le passage par la crise sanitaire par exemple, a fait réagir les soignants qui ont dénoncé le risque aggravé des plus pauvres et de leurs enfants de souffrir et d’être malades. Avec des effets concrets puisque les lieux d’aide à la parentalité ne doivent pas être fermés . Alors pour que les bébés noirs ne meurent pas plus que les autres, il nous faut avoir la même vigilance et la même volonté.
Bibliographie :
Chemery V, Fouteau C, Jobard F, Guillibert P, Henneton T, Wahnich S, « La race n’existe pas, mais elle tue ». Vacarme 2015/2 (N° 71), pages 1 à 21.
Fassin D. et Fassin E. (dir). De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française. Paris : La Découverte ; 2006.
Sauvegrain P., La santé maternelle des « Africaines » en Île-de-France : racisation des patients et trajectoires de soins, Revue européenne des migrations internationales vol 28, n°2, 2012 p. 81-100
https://doi.org/10.4000/remi.5902
Commentaires
Enregistrer un commentaire