Je suis en guerre contre moi-même





Si le confinement « c’est la guerre », alors c’est d’abord avec moi-même que je suis en guerre.

Où est ma place dans ce grand chambardement ?

J’ai été contrainte de partir de l’hôpital considérant ma consultation comme « non indispensable ». Très rapidement, nous nous sommes organisées (l’équipe et moi même) pour travailler à domicile avec la consigne : ne pas perdre de vue nos patients les plus fragiles.  
Une fois installée dans les murs de mon bureau entre téléphone et écran d’ordinateur, je suis prise d’un malaise. Et si ma place était ailleurs ? Ne suis-je pas lâche dans ce confinement ? Et comment vont mes voisins, mes proches, mes aînés ?
Comme tout le monde je multiplie les appels, les groupes sur Face Book, les messages qui se disséminent de Bordeaux, à Paris, vers l’Europe et jusqu’au Tchad et Madagascar.
La liste de mes obligations ne disparaît pas, elle se complique.
Mon corps s’alourdit, mon sommeil se dérègle. Je guette les articles et les édito qui trouveraient un aspect positif à ce temps de parenthèse : l’air s’assainit ? La nature reprend ses droits ? Les penseurs de la sortie de la croissance se frottent les mains ?
Oui, mais.

Citoyenneté

Tant de personnes vont affronter une crise qui s’annonce grave. Je verse de l’argent à quelques associations, je fais des gâteaux que je partage avec mes voisins, je fabrique des masques en tissus, je frappe des mains à 20h… je suis une citoyenne et je ne trouve toujours pas la paix… intérieure je veux dire.
Je décortique au matin mes rêves bizarres tout en écoutant le chant matinal des oiseaux (l’un d’entre eux ressemble au tintement d’un triangle) : les images agglutinées de mon passé et de mon présent sont traversées par des mystères aux allures de monstres.

Renoncement

Etre confiné c’est résister à la pandémie, dit la radio, voici une phrase qui pourrait apaiser… pas sûr.
Je prends le parti de ne pas arrêter de penser,  penser et agir par de menus gestes.
Une pensée secrète n’a pas arrêté de s’agiter. Profitons de ce temps pour écrire (ah tous ces projets en plan), pour diminuer la pile des livres et des articles indispensables à ma culture ( !), revoir mes classiques, combler mon ignorances des films cultes (la planète des singes !). Mais c’est une pensée intranquille… qui ne dissipe pas mon malaise, car elle ne fait qu’élever des idéaux inaccessibles, frappés par le non-sens. Je renonce à tout projet triomphant.

Résurrection 

Mais le malaise ne s’affine pas. Après toute cette agitation, je me demande s’il ne faut pas recomposer le monde et  retrouver le rythme intérieur déréglé par le virus.  
Alors je reprends le fil de mes préoccupations : mon métier, mes responsabilités associatives, familiales, mes articles et je fais en sorte que la vie continue. Je fais des consultations par téléphone : à l’autre bout des ondes, l’ennui, l’angoisse, la surprise mais aussi le partage d’une condition et d’une gratitude aussi. Ils sont heureux de m’entendre, et moi aussi ! Des patients qui s’en sortent le mieux, sont ceux qui ont connu d’autres confinements en temps de régime dictatorial ou d’exploitation. Ceux-là se font du souci pour nous.
Ces échanges me font du bien. Certes ils ne remplaceront jamais la présence physique, devenue tout d’un coup précieuse, luxueuse même dans son absence. Privation qui modifie notre habitus en profondeur : on intègre, on incorpore cette distance. Je ne sors plus sans mon masque, je traverse le trottoir pour éviter un groupe de personnes, je bondis pour éviter une projection de salive.
Ecouter le silence et les mots des poètes et les faire sien : « Je veux que mon âme trouve son corps » (Nicanor Pana)

Ecouter le silence

Recomposer le monde en jetant les concepts dominants qui ne nous serviront plus car adeptes d’une vitesse mortelle, fabricants de bruits qui couvrent les chants d’oiseau, destructeurs de solidarités.

« Il est temps d’entendre ce qu’on ne veut pas entendre
entendre ce qui ne fait pas de bruit.
Le sang ne fait pas de bruit,
L’oiseau mort ne fait pas de bruit,
Marcher sur un nuage ne fait pas de bruit,
Laisser faire ne fait pas de bruit 
Se taire ne fait pas de bruit.

Mais tout ce silence de tous ceux qui se taisent fait un bruit à ne plus vivre
Mentir ne fait pas de bruit,
Mais mentir, mentir, mentir finit pas faire un bruit à ne plus s’entendre
Un bruit de fin du monde.
La mort ne fait pas de bruit… »
Poème[1] « Il est temps » tiré de Et la terre croule de Henri Meschonic

Le consentement meurtrier[2]

Quand nous nous préoccupons de nos proches, de nos aînés et de nos morts, de notre désir entravé de soigner (ou au contraire décuplé), nous reconnaissons la fragilité de notre vie et sa dépendance à d’autres.
Mais nous risquons de nous détourner des vies devenues silencieuses, qui se heurtent à nos frontières et qui meurent en silence dans la Méditerranée… Ne pas lâcher la préoccupation des autres, que ce virus voudrait faire abdiquer.  




[1] Découvert grâce à « la poésie en confinement », lue par Jean Paul de la librairie olympique à Bordeaux.
[2] Concept du philosophe Marc Crépon. 

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