Universalité des
châtiments corporels/conception démocratique de l’éducation des enfants
Frapper
les enfants pour les éduquer, voici une évidence qui ne souffre que de quelques
nuances… oui, évidemment, il ne faut pas frapper, ceci est interdit par la loi,
mais une bonne fessée, une tape de temps en temps, est bien justifiée, il faut
bien mettre des limites aux enfants ! Le bon sens et le droit de
correction font que le droit n’a pas à s’immiscer dans l’éducation des enfants,
elle relève du strict domaine parental.
Ainsi,
le livre passionnant de Daniel Delanoë (2017), psychiatre d’enfant et
anthropologue, s’attaque-t-il à ce domaine où on a le sentiment d’en connaître
les évidences. Or, ce qu’il nous fait partager, grâce à sa pratique de soin,
mais aussi une longue enquête anthropologique bouscule et déconstruit nos
certitudes. Les châtiments corporels aux enfants sont une pratique très
ancienne, reconnue dans toutes les sociétés, et font ainsi partie de notre
bagage culturel et historique que l’on ne remet pas en question facilement.
Le
châtiment corporel est défini par l’auteur comme « l’utilisation de la
force physique de manière culturellement licite ou légitime dans la société où
vit l’enfant, avec l’intention de faire subir à l’enfant de la douleur, dans le
but de corriger ou de contrôler le comportement de l’enfant » (Ibid. :
36). Ainsi, en France, on glisse du châtiment au mauvais traitement si cette
utilisation laisse des traces ou bien est présente de façon abusive… Bien sûr
les châtiments corporels ne sont qu’un des aspects des violences faites aux
enfants. Ils sont désormais dénoncés par une poignée de praticiens qui
démontrent combien ils sont néfastes aux enfants, à court, à moyen et à long
terme : les enfants physiquement châtiés ont plus de risque d’avoir des
problèmes psychologiques et ou de commettre la violence. On donne une fessée
pour stopper la violence de l’enfant, or, elle aggrave au contraire sa
violence, et s’avère très peu efficace en terme éducatif ; ensuite elle
entraîne des effets traumatisants. Daniel Delanoë le prouve avec des études
précises et explicites : dans les pays où les châtiments corporels sont
interdits par la loi, il y a moins de violence sociale. La Suède constitue le
pays modèle, premier pays l’ayant interdit avec, de façon corrélative,
l’absence de mort enfantine par maltraitance,
une diminution des procès pour maltraitance d’enfants, une diminution des
séparations familiales de l’enfant et des condamnations des jeunes pour vol et
pour viols, et une baisse de la fréquence des suicides.
Mais
pourquoi frappe-t-on les enfants ? Les justifications culturelles sont
très nombreuses et très répandues : l’apprentissage, le respect des
adultes et surtout l’intériorisation de la hiérarchie sociale passent par les coups.
Les témoignages reproduits par l’auteur sont à cet égard parfois glaçants,
quelques soient les cultures et les régions du monde où ils sont recueillis. Le
« qui aime bien châtie bien » biblique a influencé l’éducation dans
les religions juive et chrétienne. Ainsi la conception chrétienne de l’enfant,
analysée de façon approfondie par l’auteur en raison de son empreinte générale
sur la morale adulte, est contrastée : les évangiles ainsi que les écrits
de St-Paul préconisent la douceur. « Laissez venir à moi les petits
enfants », sont les paroles de Jésus. Néanmoins, cette recommandation
disparaît derrière la conception de l’enfant des fondamentalistes religieux
(catholiques et protestants) influencée depuis le Vème siècle par l’idée qu’un
être, dès sa naissance, est porteur du péché originel. L’homme né donc mauvais ;
dès lors pour le salut de l’enfant, en sus de son éducation, Augustin, père de
l’Eglise du Vème siècle, justifie qu’il soit battu. Cette croyance va
influencer durablement la pensée et la culture occidentales. L’éducation
musulmane prescrit également les châtiments corporels pour inscrire dans le
corps enfantin la soumission et le message divin. Les écoles coraniques ont en
effet la réputation de leur dureté à l’égard des enfants.
Au
sein de l’unanimité religieuse et culturelle de l’adhésion aux pratiques
corporelles éducatives, Daniel Delanoë relève toutefois des exceptions :
les modèles humanistes influents aussi chez les croyants font de l’enfant un
être à traiter avec douceur et auquel il faut éviter l’humiliation :
Montaigne, Rousseau sont des figures connues à qui l’on doit un changement de
regard sur l’enfant…
Une
partie passionnante de ce livre concerne aussi nos théories modernes comme la
psychanalyse. Rappelons que Delanoë est de formation analytique ; il
reprend les écrits de Freud et les conceptions controversées sur le traumatisme :
pourquoi fallait-il au père de la psychanalyse innocenter le parent masculin et
faire porter à l’enfant la responsabilité de ses désirs coupables ? Ce long
détour par la pensée psychanalytique rend très opportunes les questions du
pourquoi les analystes se sont-ils si peu intéressés au châtiments
corporels et pourquoi ils ignorent les études explicitant les effets
catastrophiques des coups sur les enfants ? Leur conception ne serait-elle
pas le produit d’une représentation de la nature humaine comme fondamentalement
mauvaise ?
Les
quelques sociétés sans violence à l’égard des enfants nous apprennent quelques
faits fondamentaux : il existe une corrélation entre la violence
faite aux enfants et celle à l’égard des femmes, entre cette violence et la
stratification sociale et l’inégalité du pouvoir. Ainsi, les hiérarchies
sociales avec la domination masculine sont très liées à la violence faite aux
enfants…
Notre
époque est devenue sensible à cette question. Toutefois, il reste encore
beaucoup à faire : sensibiliser ne suffit pas, il faut interdire par une
loi, de telle sorte que l’affirmation : « c’est mon enfant, j’ai le
droit de le frapper » ne soit ni légitime ni légale. Ceci serait possible
si le droit ne s’arrêtait pas aux portes de l’espace familial. Ainsi « un parent peut frapper
son enfant mais pas celui d’un autre parent, car il n’exerce plus alors sont
droit de correction et s’expose à l’application du Code pénal… l’espace ainsi délimité est l’espace
domestique et la relation ainsi définie est une relation de propriété »
(Ibid : 181). L’enfant est donc dans la condition qu’occupaient jadis
l’épouse, le domestique et l’esclave !
La
France rechigne à abolir les châtiments corporels : des voix politiques
mais aussi des paroles doctes de psychiatres se sont élevées contre « la
loi de prohibition des châtiments corporels dans tous les contextes »,
enlevant à l’enfant sa dimension de sujet total de droit…
En
attendant l’avènement d’une loi abolitionniste des châtiments corporels des
enfants au sein de leur famille, Daniel Delanoë continue ses consultations et
informent les parents du rôle néfaste des coups sur l’enfant. C’est l’arme très
affutée et ce sont les conseils très documentés qui lui permettent de protéger
les enfants qu’il soigne.
En
fermant ce livre, je me suis sentie moins ignorante et totalement contre toute
forme de châtiment corporel sur les enfants. Mais la loi, que la Suède a mise
la première à l’honneur, tarde à venir en France, qui reste un des rares pays
européens qui résiste malgré les demandes des Nations Unies et les
condamnations du Conseil de l’Europe. En attendant, il y a ce livre beau,
documenté et humaniste.
Delanoë
Daniel. Les châtiments corporels de
l’enfant. Une forme élémentaire de la violence. Toulouse : Erès ;
2017.
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