Voici deux petits moments de voyage, où j'ai été observatrice de la façon dont on s'occupe des enfants. Or, ces façons m'ont interrogée en tant que chercheuse et femme occidentale. Les questions posées je les ai exposées aujourd'hui lors du colloque de la revue L'autre "Nos enfants sont-ils sacrés?".
Je monte dans le taxi-brousse et me
prépare à un voyage de plusieurs heures. Je suis de passage à Madagascar pour
un colloque et ne résiste pas à l’envie d’aller voir des amis qui habitent à
Tamatave. Je connais ce pays depuis très longtemps et j’y vais régulièrement.
Tamatave est la deuxième ville après Tananarive, la capitale, située sur les
Hauts-plateaux au centre du pays. Tamatave est un port sur la côte est, le
« poumon » de Madagascar sur le plan du commerce. Le climat y est
chaud et humide, alors que sur les Hauts-plateaux, on entre doucement à cette
époque dans l’hiver, avec des températures fraîches le matin et le soir. Le
meilleur moyen de voir du pays est de voyager en voiture et encore mieux en
taxi-brousse ! Il n’y a pas de
train, et l’avion est un luxe même pour les visiteurs. Tout voyage en voiture
est une aventure exposée aux risques d’une panne, d’une route encombrée de nids
de poule. Par bonheur, notre taxi est une voiture solide. Il est plein de
voyageurs et son toit encombré de bagages multicolores. Il démarre enfin,
chargé mais ponctuel. La foule des familles venue accompagner les voyageurs
s’écarte doucement et les mains s’agitent.
Mon voisin le bébé porte un bonnet,
malgré une température clémente, il se love sur le corps de sa mère, prend son
sein et s’endort. Huit heures de route durant, l’enfant ne pleurera pas, ne
criera pas. Je l’observe du coin de l’œil. La mère étend ses jambes sur
quelques bagages posés sur le sol, elle est accompagnée d’une femme plus âgée,
un chapeau sur ses cheveux tressés, un lamba (étole) rose sur ses genoux. La
route s’étire entre les collines vertes et rouges. Je noue conversion avec la
mère, qui me répond doucement dans un français balbutiant. Elle enlève le
bonnet et découvre une tête brune aux cheveux rasés, l’enfant est tout sourire,
ses grands yeux noirs nous regardent et sourient. C’est un garçon ? Non,
une fille, ah, elle s’appelle comment ? Dulcée, ah ce n’est pas malgache,
non c’est anglais, c’est son père qui a choisi. Le bébé reprend l’autre sein de
sa mère puis se rendort, se réveille, la vieille dame, sa grand-mère, lui donne
des bouts de pain ou de gâteau, et l’enfant est toujours sourire. Je m’aperçois
que le dessus de son pied a une blessure. La mère m’explique qu’elle s’est
blessée avec du thé brûlant, je saisis le pied pour vérifier que ce n’est pas
infecté. La petite fille grimace et je le lâche avant qu’elle ne se mette à
pleurer. Elle a un an. Le mari travaille dans la capitale et elles viennent le
voir tous les deux mois. La mère accepte de répondre encore à mes
questions : dans la famille de son mari, on pratique la première coupe ras
des cheveux des enfants à 6 mois, moment où l’enfant sait se tenir assis,
dit-elle, puis à un an, moment où l’enfant marche sans doute, me dis-je. Je
remarque que l’enfant n’a pas de couche et n’a pas mouillé les jambes de sa
mère durant le voyage. Je lui demande si elle est propre, oui, presque, on
commence à éduquer les enfants à 9 mois.
Le voyage continue, on s’arrête pour
manger sur le bord de la route, dans une gargote, et Dulcée restera sage et
souriante jusqu’au bout. L’atmosphère se charge de chaleur et d’humidité, les
habitats en dur disparaissent. Des maisons en bois sur pilotis se dressent.
Enfin, on arrive à Tamatave, la ville odorante de vanille et de clous de
girofle. A l’arrivée, je m’aperçois que dans l’arrière de la voiture, il y avait
un autre bébé, tout aussi silencieux… que je n’avais pas remarqué.
Je reste songeuse devant ce calme assuré
par la permanence du corps de la mère, disponible pour des tétées à la demande.
Je me suis risquée à demander à la mère de Dulcée si elle avait essayé la
sucette. Oui, me dit-elle, mais l’enfant n’en avait pas voulu. Normal,
pensé-je, si le sein est toujours à portée de bouche... Et de continuer à
réfléchir : chez nous, on insiste sur la régularité des tétées et des
repas dès la naissance, mais on ne se préoccupe de la propreté que bien plus
tard… je prends congé de la petite famille, le ciel va bientôt s’assombrir, la
femme s’éloigne avec son bébé et la grand-mère, une montagne de bagages à leur
côté, elles hèlent deux cyclopousses. Dulcée porte à nouveau son bonnet, je lui
fais un signe de la main, et elle me répond de sa menotte.
Une autre scène : je suis à NDjaména et mon collègue m’invite chez lui pour faire connaissance de sa petite fille. J’arrive dans la maison de sa belle-mère, et tirant le rideau qui protège du soleil incandescent je découvre ravie que j’arrive au moment du bain de l’enfant minuscule nue sur les genoux de sa grand-mère. La mère est à distance, assise sur un tapis elle observe ou plutôt scrute les gestes lents et précis de l’ancienne. Le bébé est aspergé auprès d’une bassine d’eau chaude. La grand-mère fait chauffer ses mains sur un brasero et masse l’enfant avec précision, souffle dans les narines et l’habille couche par couche jusqu’au bonnet que l’enfant gardera jusqu’à ses un an. Dans l’obscurité à laquelle mes yeux se sont habitués j’ai très chaud, et le bébé sous ses couches d’habits, n’a-t-il pas trop chaud ? Et ce bonnet ? La petite fille s’est lentement détendu sous les caresses fermes de l’ancienne, ses petits points s’ouvrant.
Une autre scène : je suis à NDjaména et mon collègue m’invite chez lui pour faire connaissance de sa petite fille. J’arrive dans la maison de sa belle-mère, et tirant le rideau qui protège du soleil incandescent je découvre ravie que j’arrive au moment du bain de l’enfant minuscule nue sur les genoux de sa grand-mère. La mère est à distance, assise sur un tapis elle observe ou plutôt scrute les gestes lents et précis de l’ancienne. Le bébé est aspergé auprès d’une bassine d’eau chaude. La grand-mère fait chauffer ses mains sur un brasero et masse l’enfant avec précision, souffle dans les narines et l’habille couche par couche jusqu’au bonnet que l’enfant gardera jusqu’à ses un an. Dans l’obscurité à laquelle mes yeux se sont habitués j’ai très chaud, et le bébé sous ses couches d’habits, n’a-t-il pas trop chaud ? Et ce bonnet ? La petite fille s’est lentement détendu sous les caresses fermes de l’ancienne, ses petits points s’ouvrant.
Les anthropologues de la petite enfance
nous ont montré combien les pratiques de maternage pouvaient être diverses dans
le monde. Elles varient selon l’environnement : très chaud ou bien très
froid, pauvre ou riche, techniques avancées présentes ou pas ; selon
l’idée que l’on se fait d’un enfant pour qu’il soit autonome rapidement ou
pas ; selon la façon de les élever de façon solidaire ou pas dans un monde
hostile ou pas ; selon l’idée de la socialisation avec les valeurs du
partage, de l’obéissance aux aînés, de la solidarité, du marquage sexuel et de
l’appartenance sociale (prestigieuse ou pas).
Toutes les pratiques répondent aux mêmes
questions et aux mêmes problèmes concernant les enfants : comment assurer
leur survie, comment les tenir propres, comment les calmer, comment les
protéger, comment les porter ? Ces buts sont atteints selon l’idée que
l’on se fait de l’éducation des enfants : plutôt être indulgent, ou au
contraire sévère, leur procurer des satisfactions nombreuses et immédiates, ou
au contraire leur apprendre la frustration.
Commentaires
Enregistrer un commentaire