La mémoire du thérapeute pour les oubliés de l'histoire

La mémoire du thérapeute pour les oubliés de l'histoire

C'est le titre de ma dernière communication au colloque de l'association Primo Levi "Je veux tout oublier-les paradoxes de l'oubli" en janvier dernier. Le texte doit être publié. En voici l'argument principal :
 En tant que psychothérapeute d’inspiration analytique, l’interprétation, quand elle intervient dans le soin, se fonde sur l’affect du patient. C’est à ce point de jonction que le passé s’immisce dans le présent comme le dit Michel de Certeau. Mais qu’en est-il de l’affect du thérapeute ? Il est commun de faire valoir que le thérapeute a une expérience analytique, ou bien qu’il peut avoir recours à une analyse des pratiques.
Cependant, dans l’écoute de nos migrants victimes de violence accumulée, la mémoire du thérapeute accueille celle, en creux ou en aspérité, du patient afin que celui-ci soit « souverain » de sa mémoire comme le dit Roberto Beneduce. A cette mémoire de l’autre répond en écho celle du thérapeute inscrite dans une histoire collective où la violence politique peut être présente. C’est à partir de ce travail réflexif qu’il fait sienne la mémoire du patient : les deux s’inscrivent dans l’histoire partagée d’un monde où nous sommes interdépendants et solidaires.

J'évoque ainsi comment l'histoire d'un patient que je nomme Hussein traverse la mienne grâce à l'évocation d'un rêve ; la détresse qu'il y évoque face à des êtres morts-vivants l'assaillant croise la mienne autour d'un affect commun : la peur de l'enfant face aux réactions imprévisibles d'un père violent. Face au traumatisme, le Réel de Lacan, je défends le fait que le psy s'appuie sur sa propre histoire et l'histoire avec un grand H, pour inscrire l'historicité  psychique qui fait défaut au patient. 
Or, lors de ce colloque, des collègues et cliniciens me parlent de Françoise Davoine, Cette psychanalyste ainsi que son mari (aujourd'hui décédé Jean Marie Gaudillière) en avait fait le sujet de leur séminaire l'articulation du sujet et de sa folie avec l'Histoire. Je me suis donc procuré ce livre aujourd'hui épuisé. 
Cette après-midi, je dévore ce livre qui donne consistance à mon intuition de thérapeute !! C'est magnifique et je ressens la joie qui anime les chercheurs pris dans une quête ardue où l'aridité domine. 

Françoise Davoine est née lors de la deuxième guerre mondiale pendant laquelle son père fut un résistant survivant. 
Je suis fille de la post-colonie, où la guerre d'Algérie a laissé des traces profondes même dans les familles françaises n'ayant pas fourni de combattant, où les décolonisations commençaient à peine après les célébrations des indépendances... 
Hussein, le patient dont je parle est fils d'une guerre lointaine, le Biafra, et témoin d'une catastrophe qui borde notre continent européen, là où les exilés meurent, souffrent et emportent avec eux les éclats de traumatismes qui feront notre futur... de nos théories compris.


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