Vendredi après-midi, fin de semaine, la fatigue sur les épaules, mais l'attention et l'écoute toujours soutenues pour les dernières consultations. Je reçois Mme B., frêle jeune femme, les yeux agrandis par le désespoir, avec ma collègue, stagiaire psychologue, Sophie Lepoivre. Elle prend des notes, voici ce qu'elle écrit :
"« Maman, je ne veux pas aller à l’école, je ne veux pas te
laisser : tu pleures tout le temps. Maman, et je crois qu’aujourd’hui je
vais le dire à la maîtresse que tu pleures tout le temps », lui dit son fils de 5 ans; il
aime l’école et sa maîtresse, il aime dessiner, écrire et jouer avec ses
copains. Comme son petit frère de 1 an, qui est né en France, qui cherche
toujours à attraper mon stylo ou mon agenda quand il vient à la consultation.
Un petit garçon que je dois souvent emmener dans un coin du bureau en attirant
son attention sur un livre ou un jeu pour qu’il ne voit pas les larmes couler
sur le visage de sa mère.
Aujourd’hui elle est venue sans enfant. Il s’est passé quelque chose, elle
a quelque chose à demander.
On dirait qu’elle va vomir sa douleur. Des spasmes la traverse des
entrailles vers la gorge. Quelque chose entre le cri ou le sanglot s’étouffe
avant de jaillir, pour naître à nouveau dans son ventre. Elle est devenue
encore plus pâle, la psychothérapeute s’est levée pour la contenir et
l’empêcher de tomber au sol. Elle vient de dire ces mots très vite, en un seul
souffle avec des yeux hagards : « S’il m’arrive quelque chose, s’il
vous plait, prenez soin de mes enfants, ne laissez pas qu’on les envoie en
Albanie ». C’est un suicide qu’elle annonce, et tout son corps à commencer
à se tordre quand elle a évoqué l'avenir de ses deux enfants.
Elle a reçu l’OQTF. Obligation de Quitter le Territoire Français.
La psychothérapeute (moi) est toute à l'action de ne pas laisser choir Mme B. et de lui dire avec force que non, elle ne se suicidera pas. Je ne vois rien qu'elle et pas le trouble de ma collègue.
Dernière consultation, je suis seule avec un couple, M. et Mme G., habillés princièrement d'habits colorés, ils s'assoient avec la lenteur des condamnés à mort. Leur récépissé va expirer... sous entendu, une OQTF de la préfecture plane dans l'air comme une menace nucléaire... Que va-t-on devenir? demande M. G. en boucle, alors qu'ils sont inscrits dans un parcours de réhabilitation, victimes d'un régime africain ignoble, et que leurs enfants en Afrique vivent de leurs envois d'argent. Je suis assise, immobile, anesthésiée, comme eux, je ne peux pas réfléchir... je rentre chez moi, et la douleur me terrasse par une fatigue écrasante.
e L'Assemblée nationale a adopté en première lecture le 22 avril 2018 lprojet de loi Asile et immigration défendu par le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, malgré les contestations de toutes les associations connaissant le terrain. Trump, lui, a félicité Macron pour sa fermeté...
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